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21 فبراير 2012

"Pietà islamique" : sous le voile, la révolte

Lettre du Proche-Orient | LEMONDE | 18.02.12 | 13h24

 Comme toujours quand la référence religieuse ou picturale est appuyée, le photoreportage suscite la polémique. Symboliser le "printemps arabe" par une pietà en voile intégral serrant dans ses bras un "Christ" yéménite au torse dénudé ne pouvait échapper à la règle. Le cliché, réalisé le 15 octobre 2011 au Yémen par Samuel Aranda pour le New York Times, a été récompensé, vendredi 10 février, du World Press Photo.

Si l'on se réfère aux précédentes photos primées - "La Pietà du Kosovo" de Georges Mérillon (Grand Prix 1990) et la "Madone de Bentalha" d'Hocine Zaourar (Grand Prix 1998) -, l'exercice se distingue cette année par sa charge polémique. "Oui, sous le niqab, il y a des êtres humains, qui parfois souffrent et se battent pour la liberté", semble nous dire Samuel Aranda.

Pour le reste, le spectateur appréciera diversement la pertinence de la référence à Michel-Ange : "justement pathétique", "émouvant" et "universaliste" pour les uns, "déplacé", "ringard", "kitsch", voire "orientaliste". Dans le monde arabe, les réactions sont aussi contrastées qu'en Europe et aux Etats-Unis.

Sur son blog consacré à la photographie d'art contemporaine, Conscientious, le journaliste allemand Jörg M. Colberg se déclare indisposé par le cliché et propose de rebaptiser le Prix mondial de la photo de presse "Prix occidental de la photo de presse". "La question qui se pose, c'est : dans quelle mesure utilisons-nous une photographie pour illustrer notre propre système de croyance ? Presque chacune des photographies récompensées par le World Press Photo reflète un regard typiquement occidental."

Comme lui, certains regrettent de ne pas voir valorisées des représentations moins codées, plus neuves et par là même moins rassurantes de la violence à laquelle font face les populations arabes, au premier rang desquelles les femmes. Sur les réseaux sociaux, la célébre image prise en Egypte de "la fille au soutien-gorge bleu", traînée sur le sol par le bout de son hijab par des militaires, le ventre dénudé bleui par les coups de botte, fait une forte concurrence à la pietà yéménite. Elle révélerait de manière plus explicite le potentiel de révolte niché au creux des voiles arabes. Mais Patrick Baz, le directeur régional de la photographie au Moyen-Orient pour l'AFP, membre du jury pour World Press Photo 2012, n'est pas de cet avis. "Le photographe égyptien qui a réalisé l'image de la blue bra girl ne s'est pas rendu compte de sa valeur. Un prix judéo-chrétien ? Oui. Car c'est effectivement notre culture. Le monde arabo-musulman n'a pas de culture de l'image ni de références visuelles, l'islam sunnite encore moins. Je trouve que la "Pietà islamique" - c'est ainsi que je l'ai surnommée - est une très belle image. Un mélange d'islam et de chrétienté, de voile et de nudité. L'attitude de cet homme dans les bras de cette femme est extraordinaire."

Faut-il souhaiter au cliché de Samuel Aranda d'échapper au cadre dans lequel l'enferment certains de ses juges ? "Ce qu'il montre, estime l'éditorialiste Omar Saghi, sur la radio marocaine Médi-1, c'est que la modernité politique, que le féminisme lui-même, n'est plus du côté de Suzanne Moubarak, de Leïla Trabelsi ou d'Asma Al-Assad (épouses des ex-dirigeants égyptien et tunisien et du président syrien). Toute voilée qu'elle soit, l'anonyme yéménite dit la vérité simple, massive et incontournable de l'émancipation politique : la résistance à l'ordre injuste, le pouvoir de dire non au despotisme par-delà les différences religieuses."

"L'espace public arabe a été bousculé, peut-être définitivement. Il n'est plus le monopole des hommes à l'exclusion des femmes, des modernistes à l'exclusion des islamistes, des politisés à l'exclusion des indifférents, continue-t-il. Corps nus ou corps voilés mais corps politiques qui, en s'immolant par le feu, en s'exposant, en se faisant tuer en ce moment en Syrie, ont dit et continuent de dire que là, sur leur corps, s'arrête la dictature et commence une nouvelle ère politique arabe."

talon@lemonde.fr
Claire Talon

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